Céréales et soja : des cours marqués par la géopolitique et la météo
Aujourd’hui, les cours des matières premières constituant l’alimentation des volailles sont très volatiles. Michel Bello, Directeur nutrition animale à la coopérative Garun-Paysanne (22), fait le point sur les céréales et le soja.
Quel est le bilan des récoltes et du cours du blé en France et dans le monde ?
Les cours des matières premières sont devenus très volatiles et compliqués à prévoir sur la seule base des fondamentaux. Ils sont fortement influencés par le contexte géopolitique omniprésent qui peut à tout moment modifier l’équilibre des marchés. À cela, s’ajoutent le comportement des fonds financiers, les évolutions des parités des monnaies et la fréquence des aléas météorologiques...
En termes de perspectives, on observe une production mondiale de blé encore importante : 785 millions de tonnes (Mt) en 2023, en léger retrait de 2022. Seule une dizaine de pays produit assez de blé pour en exporter. La Chine, qui est de loin le premier producteur mondial avec 138 Mt en 2022-23, en importe quand même plus de 10 Mt par an pour nourrir 1,4 milliard d'habitants, maintenant en permanence un énorme stock à domicile et impactant de fait la demande mondiale et les cours des céréales. Autre grande productrice : l'Inde. Elle avait commencé à exporter ses surplus de récolte ces dernières années, mais impose depuis un an des restrictions à l'export, échaudée par des sécheresses amputant ses moissons.
La Russie devient le 1er pays exportateur (1/4 des exportations mondiales) avec une production record de plus de 90 millions de tonnes. Derrière la Russie, les principaux exportateurs sont le Canada, l'Australie, les Etats-Unis, qui devraient tomber sous la barre des 20 Mt, au plus bas depuis 50 ans, et la France.
L'Ukraine, qui était avant la guerre en passe de devenir le 3ème exportateur mondial, ne devrait exporter que 10 millions de tonnes selon l'USDA (U.S. Department of Agriculture). Mais la guerre a surtout assis la domination russe sur le commerce mondial de la céréale. Les voies fluviales restent « fragiles », régulièrement bombardées. Le corridor maritime a permis de sortir près de 33 Mt de produits agricoles du pays en un an, mais n'a pas aidé l'Ukraine à rebondir en termes de production agricole, en raison de la guerre elle-même qui a amputé d'un quart ses terres arables.
Le fait marquant reste la Russie qui fait la pluie et le beau temps avec un potentiel export 2023 de 45 Mt. Elle remplace l’Ukraine, notamment au Maghreb et en Afrique Subsaharienne où elle était peu présente. Plus grave, l’alimentation devient pour Poutine une véritable monnaie d’échange dans le cadre du conflit géopolitique sur fond de « complaisance africaine achetée ». C’est la Russie qui fournit dorénavant principalement la Turquie et l’Égypte, très gros importateurs de blé et clients habituels de la France.
Malgré une bonne récolte (35 Mt), la France a du mal à être compétitive à l’export, par rapport aux pays de la Mer Noire. L’absence de dynamique du coté exports est un élément qui pèse sur les cours, du fait de chargements portuaires assez limités. L’apparition de bateaux à destination du Maroc et du Mexique était une bonne nouvelle pour le marché français mais clairement insuffisante pour relancer les prix en hausse. Actuellement, le rythme de semis est suivi avec attention car les pluies viennent perturber les travaux. Les prochains jours devraient être très arrosés dans la majeure partie de l’hexagone et les semis pourraient devoir s’accélérer à l’approche de mi-novembre. Sur le plan statistique, les certificats européens montrent un cumul exports EU-27 à 9,6 Mt depuis le début de la campagne, soit un niveau restant nettement sous les 10,6 Mt de la moyenne 3 ans. Une situation qui s’accompagne de solides importations, où la présence de flux ukrainien est dominante.
Par ailleurs, la régression continue de l’élevage en France diminue les besoins en céréales fourragères de l’industrie de l’alimentation animale (-6 %). Ces circonstances associées au manque de compétitivité du blé français, concourent à réduire la demande de blé et à maintenir des prix bas, autour de 230/240€ par tonne sur le marché à terme 2024 …
Qu’en est-il du maïs ?
C’est la céréale la plus produite dans le monde avec 1,2 milliards de tonnes en 2023. Les opérateurs gardent un œil sur l’évolution des conditions en Amérique du Sud mais l’offre mondiale reste confortable. Le Brésil atteint des records d’exportation (>8,4 Mt) sur octobre. Aux Etats-Unis, les récoltes progressent en passant de 59 % à 71 % en une semaine, soit un niveau en ligne avec la normale. La demande reste forte avec une production d’éthanol soutenue. De plus, les maïs ukrainiens sont très compétitifs à destination du vieux continent malgré une logistique toujours délicate. Le maïs prend l’avantage sur le blé déjà bas, dans les formulations volailles à 206 € rendu sur novembre.
Est-ce que le cours du soja continue d’augmenter ?
Seul le soja reste élevé en cette période, et peut-être à l’avenir. L’attention se focalise sur l’Amérique du Sud et particulièrement le Brésil et l’Argentine, où le rythme des semis est scruté. Au centre de toutes les attentions, les conditions climatiques au Brésil ne montrent pas de signes d’amélioration. Au contraire, les cartes météo n’annoncent aucune pluie significative dans le Mato Grosso à court terme, qui souffre actuellement d’un très net déficit hydrique qui entrave la bonne avancée des semis de soja. L’arrivée de pluies sera bénéfique mais les modèles météo s’accordent sur une dominance de conditions chaudes et sèches sur les prochaines semaines. Une situation qui conduit le marché du tourteau à se renforcer car la demande se tourne vers les Etats-Unis, où l’équilibre du bilan de la graine est « fragile ». L’abondance décrite par l’USDA dans son bilan mondial du soja repose sur un record de production au Brésil et une moisson très convenable en Argentine. Or, ce scénario pourrait devenir très « optimiste » si les conditions climatiques ne sont pas plus clémentes durant les prochaines semaines. Sur le soja, la Chine actionne la demande et en tant que très gros importateur (>105 Mt graines de soja en 2023) maintient la tension sur le marché des protéines… Enfin, la parité euro/dollar ne favorise pas l’importation. Cela maintient une pression globale sur la protéine de soja autour de 540 €/tonne. Il faudra attendre février 2024 pour voir les prix devenir plus appréciables au-dessous des 500 € et seulement mai 2024 pour raccrocher les 450 €.